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  • Photo du rédacteurUschi Waldherr

Nudité

Dernière mise à jour : 8 déc. 2019


Une jeune femme raconte que sa tante a croisé deux hommes nus avec des sacs à dos lors d’une balade dans le Loir et Cher.


En racontant, sa voix s’élève, de plus en plus scandalisée :

"Mais imagine ça ! Deux mecs nus, qui se dirigent vers toi – en pleine nature !!! J'appellerais la police tout de suite !"

Je m’éloigne mais sa voix stridente s’éternise dans mes oreilles. Moi aussi je me sens légèrement scandalisée et je réfléchis : Qu’est-ce qui me gêne dans cette histoire ?

Ok, je pourrais blâmer mon origine allemande qui ne voit aucun mal dans la nudité. L’être humain dans sa fragilité, sans mise en scène, pas de chichi, pas de mystère, pas de séduction - à nu quoi : je n’éprouve ni dégoût ni danger. Sur mon écran d’ordinateur, j'ai une photo de Mme Merkel, jeune, souriante, détendue, au bord de la mer avec des copines, dans son plus simple appareil. Une réminiscence d’un siècle passé.

Le naturisme vers le nudisme

Même si je ne l’ai jamais fait, je trouve l’idée chouette de pouvoir se balader nu quelque part dans la nature. Pour la petite histoire : à la fin du XIXe siècle, des médecins naturistes préconisent la nudité pour profiter des bienfaits hygiéniques et thérapeutiques de l’exposition à l’air et au soleil. Dans les années 20 (en Allemagne, en France dans les années 50), des militants naturistes développent la cure d’air et de soleil. Ils associent ainsi le terme à une activité de plein air, pratiquée dévêtus et l’appellent nudisme.

Je pense que dans les années 20 et 30 ces médecins ont réagi aux effets du travail malsain dans les grandes usines avec leur pollution et les ouvriers exploités, surtout physiquement. En France l’agriculture a été plus longtemps primordiale, c’est peut-être pour ça que l’idée du nudisme est venue plus tard.

Aujourd’hui je dirais que notre situation au travail s’est tellement éloignée de la nature que ce souhait de se reconnecter à lui me semble pas mal et voilà, pourquoi pas nu ?

Aspect politique

L’habit fait le moine, dit-on parfois. Il signale un état d'esprit : vouloir être comme les autres, se dissoudre dans la foule ou appartenir à un groupe, des amis, un clan ou le contraire, vouloir être visible, sortir du lot, s’individualiser, se distinguer de l’autre.

Dévêtu, il n’y a plus de repère, de représentation, d’adhérence, personne ne peut me classer socialement. A mon avis c’est une démarche très démocrate – nous sommes tous égaux, non ? Cette idée de souhaiter casser les classes était bien cultivée dans les pays communistes – d’où vient la photo d’Angela 😉

Alors il s'agit de deux hommes nus sur un chemin dans la nature, impossible de les classer socialement … c’est ça qui fait peur ?

La relation corporelle

Et si cette jeune femme ou on pourrait dire « nous » faisions d’abord la paix avec nous-mêmes et notre corps ?

Les enfants nous montreront bien comment la géographie corporelle s’explore au fur et à mesure de leur croissance avec curiosité, joie et plaisir. Mais une fois adulte ? Selon nos différents styles d’éducation et d’environnement, le regard sur nous-mêmes se trouble de plus en plus. Le sentiment d’unité « corps et esprit » s’effiloche. Ce morcellement est soutenu par l’extérieur : les pubs pour des produits cosmétiques, les mains, le visage, les pieds et des médecins se sont spécialisés pour ces différentes parties de nous-mêmes. Et selon la culture et la morale, le regard sur nos parties corporelles se divise d’en plus en :

ok et honteux.

Redécouverte corporelle

Où je veux en revenir ?

Sans notre corps nous n’existerions pas, nous sommes une unité. Pour le dire avec Levinas *: "D’accepter l’identification avec le corps comme moment inévitable de l’expérience du soi !

Mieux je suis dans ma peau, mieux je vais vers le monde. C’est une évidence, avant nous nous cabrons avec une double position : d’une part, il s’agit d’une répression du corps et, d’autre part, il s’agit d’une identification avec le corps."


Peut-être est-ce ce frottement entre l’esprit, qui souhaite un idéal de moi et le fait réel de ma corporéité, ma nudité de l’être, qui crée une souffrance ? Que le sentiment d’identité entre notre corps et nous-mêmes fait brutal : De l’unité du moi, un emprisonnement dont il s’agit de sortir de l’attachement en tant qu’être-rivé-à-soi, en tant qu’être « enchaîné à son corps », le fait de ne pas pouvoir « échapper à soi-même. »

Et si nous arrêtons ce combat de vouloir nous en sortir ? Faisons demi-tour et plongeons-nous pleinement dans notre corps ! Et comment ?

Ça m’arrive de proposer à mes clients de se balader nu dans leur appartement pour se réapproprier les sensations corporelles. S’accueillir sans jugement : comment je sens les tissus, cuir, bois, métal de mes chaises, canapé et tabourets ? Il fait froid, il fait chaud, ça fait quoi sur ma peau ? Je me caresse et me mets à la découverte des différents états de ma peau : rêche, douce, sensible, chatouilleuse ou rien du tout ? Invitation à renifler les odeurs, essayons de ne pas toujours tout éliminer par un déodorant ou un parfum. Et si c’est inimaginable, prendre consciemment une douche en sentant l’eau chaude sur la peau avec le glissement du savon, la mousse.

Comme Descartes ne l’a pas dit : "Je sens, donc je suis !" **

In and out

Voilà, c’est ce qui se peut passer dans l’appartement, dans l’intimité de mon espace protégé. Le regard (une extériorité) sur les sensations de mon corps (une intériorité) par une rencontre à la frontière ‘peau’. Et ces deux hommes-là sont sortis, ils prennent le courage de se montrer au monde. Loin l’année ’68 où l’envie de transgresser les conventions en espérant que la société progresse.

Cette femme scandalisée reflète bien notre société d’aujourd’hui : la nudité est considérée comme un délit – selon l’endroit et la situation, alors juridiquement beaucoup plus sensible qu’il y a 50 ans.

Mais ne désespérons pas :

Spencer Tunick est connu pour ses compositions photographiques où figurent des centaines de gens, posant nus dans des décors urbains. Il y a quelques années, il y a eu des soucis avec un projet photographique aux Etats Unis et il a déménagé son action « les nus qui courent dans une rue » en France, apparemment moins contrainte par la législation sur ce sujet.

Je songe à participer à un de ses projets, « protégée » par un concept artistique, alors accepté socialement, à courir avec des centaines d’autre nus … et pourquoi pas le long de l’avenue des Champs-Elysées 😊 pour vivre la beauté humaine incarnant notre façon d’être au monde.




* Les citations d’Emanuel Levinas sont reprises de mes notes, dont je ne sais plus d’où les trouver dans son œuvre.

** Cité de J. Kepner : Le corps retrouvé en psychothérapie


Uschi Waldherr

Gestalt praticienne & Sexothérapeute

06 32 80 02 31

contact@uschiwaldherr.fr


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