Le Vaginisme
- Uschi Waldherr
- 24 juin
- 5 min de lecture
Quand le corps dit non : vaginisme et loyauté invisible
Depuis plusieurs années, j'accompagne des femmes qui souffrent de vaginisme. Ce trouble, souvent méconnu ou mal compris, se manifeste par une impossibilité (ou une grande difficulté) à vivre une pénétration vaginale, malgré l’envie ou l’amour. Le vagin se contracte, se ferme, comme si le corps, de lui-même, disait "non".
Ce qui me frappe dans beaucoup de ces parcours, c’est une constellation partagée : ces femmes ont souvent grandi dans un climat familial divisé. Filles de parents séparés ou divorcés, elles ont navigué entre deux foyers, deux rythmes, parfois deux mondes. Chambre ici, canapé là-bas. Fratrie recomposée. Foyers à mi-temps. Et au cœur de tout cela, une posture silencieuse : prendre soin de ses parents.
« Si j’ai passé un bon week-end avec papa, je n’en parle pas à maman. »« Je vois bien que l’un souffre, alors je me fais discrète, je ne dérange pas. »
Très tôt, ces jeunes filles apprennent à réguler seules leurs émotions, à porter le monde sur leurs épaules, à "ne pas faire de vague". Ce mécanisme de protection – à la fois mental et émotionnel – peut devenir, avec le temps, un verrou dans le corps lui-même.
L’intimité comme chambre-forte
Dans mon cabinet, je découvre peu à peu une image forte, que plusieurs patientes évoquent sans le savoir : celle de l’intimité verrouillée.
Le vaginisme, ici, agit comme un coffre-fort. Une partie du corps dit : « je ne laisse entrer personne tant que je ne me sens pas totalement en sécurité ». Et cette sécurité, souvent, a manqué dès l’enfance. Loin d’un caprice ou d’une "frigidité", il s’agit d’un mécanisme de survie profondément enraciné.
Le vaginisme, brièvement expliqué
Sur le plan médical, le vaginisme se traduit par des contractions involontaires des muscles du plancher pelvien au moment d’une tentative de pénétration. Il peut être primaire (présent depuis toujours) ou secondaire (apparu après une période de sexualité épanouie, vécue avec du plaisir, loin de douleur).
Mais cette réponse corporelle est rarement "juste physique". Elle s’enracine dans des émotions non exprimées, des peurs anciennes, voire parfois une forme de loyauté inconsciente : celle de ne pas trahir un parent, de ne pas grandir trop vite, de rester "sage", "pure", "non sexuelle".
En Gestalt-thérapie : engagé du mouvement
En Gestalt-thérapie, nous regardons les choses autrement. Le symptôme n’est pas un problème à éliminer, mais un message à écouter.
Le vaginisme peut être vu comme une interruption de contact. Le corps réagit à une ancienne peur, il empêche la rencontre, même quand le désir est là. Il protège.
Notre travail consiste alors à ramener du mouvement là où quelque chose s’est figé :
- Ressentir le bassin, les jambes, le souffle- Explorer les émotions retenues (culpabilité, peur, tristesse)- Revenir à soi, dans le respect du rythme, du corps, de l’histoire
C’est une démarche sensible, subtile, souvent lente, mais puissante. Car en accueillant le "non", on ouvre parfois la voie à un "oui" plus profond.
Travailler en trio : une approche globale et bienveillante
Ce travail thérapeutique prend toute sa force lorsqu’il s’inscrit dans une approche pluridisciplinaire. J’ai souvent constaté que l’accompagnement était plus riche, plus complet – et surtout plus apaisant – lorsqu’on chemine à trois :
- Une kinésithérapeute spécialisée en rééducation périnéale et vaginale, pour travailler sur le relâchement musculaire, la proprioception et la reconnexion à cette zone.
(https://annuaire.ippp.fr –Retrouvez les kinés spécialisés en santé féminine)
- Une gynécologue spécialisée et bienveillante, qui peut prescrire, si besoin, des traitements locaux (crèmes antalgiques, apaisantes ou fortifiantes, notamment en cas de vulvodynie).
- Et moi, sexothérapeute et Gestaltthérapeute, pour accompagner la dimension émotionnelle, relationnelle, symbolique du symptôme, et redonner du sens.
Car non, le vaginisme n’est pas que dans la tête, ni seulement dans le corps. Il est dans la relation à soi, à l’autre, et à l’histoire personnelle. Et c’est dans cette écoute fine que les premiers apaisements émergent.
Du côté du thérapeute : quand les mots aussi restent dehors
Accompagner une femme qui souffre de vaginisme, c’est parfois aussi accepter de ne pas pouvoir "entrer" tout de suite, même en tant que thérapeute.
Mes mots, mes questions, ma présence peuvent parfois rester à l’extérieur. Comme si, en miroir du symptôme corporel, la relation elle-même rencontrait un espace verrouillé, un spot blanc, un mur de verre.
Il faut alors supporter la frustration. Ne pas insister. Savoir rester en bordure.Et c’est souvent dans cette posture – dans ce respect du rythme, dans cette présence sans attente – que quelque chose, doucement, commence à se détendre.
Une impasse à deux : douceur, amour… et évitement ?
Très souvent, les femmes que j’accompagne viennent par amour :
« Je suis amoureuse. Il est doux, patient, respectueux. Il ne me met aucune pression. »
« J’aimerais pouvoir lui offrir ça. Il le mérite. »
C’est une démarche touchante, sincère. Mais c’est aussi là que commence le premier nœud thérapeutique : La motivation n’est pas tournée vers elle-même, vers son propre plaisir, mais vers l’autre.
Et quand je demande : « Est-ce que vous avez envie, vous ? », la réponse est souvent un flou, une gêne, ou un vide. Elle ne s’imagine même pas que “ça” pourrait lui faire plaisir.
Le plaisir féminin n’a pas de place encore. Il reste… théorique.
Le couple comme refuge infantile ?
Dans ces récits, je repère parfois une dynamique plus large : une forme de couple fusionnel, enveloppant, tendre, presque asexué. La relation est souvent très câline, pleine de tendresse. Mais elle peut aussi s’installer dans une forme de confort bisounours, qui laisse peu de place à l’élan sexuel adulte.
C’est comme si les deux partenaires restaient dans une posture de sécurité, chacun évitant — inconsciemment — le passage vers le désir, la tension érotique.
Du côté de l’homme, on devine parfois un sous-développement de la polarité masculine :
beaucoup de patience, de douceur, mais peu d’incarnation du désir, peu d’affirmation.
Et ainsi, le système s’auto-nourrit :
Elle « Je ne peux pas, mais il ne me demande rien, alors je reste. »
Il « Je ne veux pas forcer, alors je n’ose pas aller plus loin. »
Un couple parfait… en apparence.
Vers un désir incarné
Une partie du travail consiste alors à recentrer la démarche sur elle :
– Qu’est-ce que tu veux, toi ?
– Est-ce que ton corps, ton désir a une place ?
– Qu’est-ce que ça changerait si tu te réappropriais cette zone… pour toi ?
Ce déplacement est essentiel. Car ce n’est pas seulement une affaire de pénétration.
C’est une histoire de souveraineté intime.
Ce que je retiens
Ce que ces femmes m’enseignent, c’est la force d’un corps qui protège. Ce n’est pas un corps "contre" elles. C’est un corps qui parle, parfois depuis l’enfance. Et le vaginisme, loin d’être une impasse, peut devenir un chemin de reconnexion à soi : à son intimité, à ses besoins, à sa liberté, à son plaisir.
Vous vous reconnaissez ?
Si vous avez grandi entre deux foyers, si vous avez appris très tôt à vous taire pour ne pas faire de peine, si votre bulle de sécurité était souvent franchie sans votre consentement ou ne pouvait pas se créer, installer et qu’aujourd’hui, votre corps résiste à l’intimité…
Ce n’est pas votre faute. Ce n’est pas dans votre tête.
Mais ça peut se transformer.
Et surtout : vous n’avez pas à le faire seule.
Uschi Waldherr
Gestalt- & Sexothérapeute & Thérapeute de Couple
m 06 32 80 02 31
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